Maman,
Je ne sais pas où commencer. Je couche ces mots sur écran au lieu de la faire sur papier. Ça fait des mois que je repousse l’écriture. Je cherche quoi en fait ? La guérison ? L’absence de souffrance ? Non en fait je veux vider son sac. Pour ne plus t’en vouloir, ne plus souffrir de ton absence.
Maman, depuis tout juste six ans, depuis ce coup de fil où tu m’annonçais un départ que je pensais transitoire, je souffre. Parfois tu vois mes larmes couler, tu me regardes, tu ne dis rien. Je ne sais pas ce que tu penses et ressens. J’aurais tant voulu que tu réagisses. Ces premières larmes qui semblent te laisser de marbre ne m’ont pas soulagées. J’ai parfois l’impression qu’elles n’ont fait que raviver ma colère. Colère contre toi, contre le destin.
Maman je souffre de te voir comme ça, de te voir là-bas. Je souffre d’entendre aussi ce qu’on te dit, même si c’est ce que tout le monde pense et j’avoue moi aussi. Que tu n’as pas ta place, que tu prends la place des autres. Car entre ce que les médecins nous ont dit il y a six ans, entre ce qu’un expert a déclaré à un juge il y a presque cinq ans et ce que l’on voit, on ne sait pas, on ne sait plus. Ce que tu es, ce que tu vis, ce que tu ressens.
Moi je sais que je ressens un océan de tristesse quand je vais te voir. Je me sens poussée vers toi comme vers un aimant car je ne peux oublier tout ce que nous avons vécu ensemble, tes heures à me veiller quand j’étais malade, les moments de lecture partagé, les heures de jeux, la maladie et la mort de Papa, nos années de galère mais aussi les bons moments mère/fille à faire les boutiques, à aller au ciné…
Il y a aussi ce devoir filial, mes devoirs de tutrice aussi, la compassion envers la personne souffrante que tu es et reniée de sa famille. C’est tellement plus simple de m’envoyer un mail pour prendre de tes nouvelles et ne plus venir te voir. C’est tellement plus simple de me dire “tu lui achèteras un cadeau de notre part pour son anniversaire” et ne pas aller te voir. Ta souffrance dérange, énerve.
Certaines fois encore, je ne suis que colère quand je repense à tout cela. Je me souviens de la culpabilité que j’ai ressenti quand tu me disais que ma première grossesse t’avait rendu malade physiquement, que ma première césarienne t’avait fait craindre ma mort , quand ma fausse couche t’avais fait “mal au coeur”. Je n’ai pas cherché tout cela. Je n’ai pas cherché à avoir ces premières grossesses compliquées.
Je suis en colère à propos des horreurs que tu m’as dit quand j’attendais WonderKid alors que je stressais déjà comme une malade. Tu m’en as voulu de connaître la joie de multiples grossesses, toi qui n’en a connu qu’une seule. Et pourtant certains femmes se damneraient pour en connaitre, même une seule, si c’était pour connaître enfin la joie d’être mère.
Je t’en veux car mes enfants n’ont qu’une seule grand-mère et ne comprennent pas pourquoi ils n’ont pas ce que les autres ont. WonderBoy a compris maintenant. Mais quand tu l’as rejeté du jour au lendemain peu avant ses trois ans, quand il pleurait tous les soirs il y a six ans de ne plus te voir, je t’en ai voulu terriblement.
J’essaie de me raisonner, de me dire que c’est mieux d’avoir une grand-mère malade que pas de grands-parents du tout. Moi j’ai eu trois grands-parents malades, je sais ce que c’est. Mais l’un des trois, ton père, m’a donné tellement d’amour malgré sa maladie ! Ma grand-mère, ta belle-mère qui m’a demandé pardon sur son lit de mort, de ne pas avoir su profiter de moi…l’as-tu oublié ? Veux-tu en arriver là, à réaliser quand tout sera perdu ? Mon autre grand-père, qui, lui aussi, m’a demandé pardon de m’avoir négligé parce que je n’étais pas le garçon qu’il espérait et était passé à côté de ma petite enfance, l’as-tu oublié ?
Il y a des moments où depuis un an où tu les regardes, enfin. Mais pas systématiquement, ce qui m’attriste. Car le soir, ta petite-fille m’a demandé pourquoi tu ne lui avais pas parlé, pourquoi tu n’as pas regardé ses jeux. Que lui répondre à part la rengaine “Mamie est malade” ?
Réaliseras-tu un jour que tu passes à côté de ta vie, de la vie, d’eux, de moi ?
Je t’en veux des deux promesses que tu n’as pas tenues.
Tu as promis à Papa de toujours veiller sur moi. Tu l’as fait jusqu’en juin 2005. Quand tu n’es plus venue du jour au lendemain à l’hôpital où je menais mon combat contre la prématurité, ça a été un crève-coeur. Malgré tout, j’ai pardonné, je t’ai cherché une maison, et WonderDad et moi t’avons fait venir près de nous. Nous t’avons trouvé la maison que tu n’avais jamais pu acheter avec Papa. J’ai cru naïvement qu’auprès de nous, tu serais heureuse.
La seconde promesse, celle qui m’a le plus blessé quand tu ne l’as pas tenu, c’est celle que tu m’as fait justement après la naissance de WonderBoy “je serais toujours là, pour toi et pour lui, je ne vous laisserai pas tomber comme moi, on m’a laissé tomber”.
Parfois j’ai envie de te hurler cette promesse que tu n’as pas tenue, comme si, en te la disant, tu te réveillerais, nous nous réveillerions de ce cauchemar. Mes larmes coulent et manquent inonder le clavier. Les mots me brûlent les lèvres, ces mots que je ne dis pas.
On dit que les mots couchés par écrit guérissent, même si la principale intéressée ne les lira jamais. Je ne saurai pas te les envoyer ou te les lire, j’aurais peur qu’il te conduise vers ses tréfonds où tu avais sombré il y a 6 ans. Il faut que je imprime ces mots, que je les brûle ensuite…et que la fumée reparte vers Celui qui, seul, a le pouvoir de te guérir.
Maman on t’aime tellement tous les cinq, si tu réalisais…
***************************************************************************************************************************
C’est ma participation au rdv #53billetsen2015 d’Agoaye.
Merci ma belle, grâce à ce thème, tu m’as forcé à écrire ce qui me ronge tant.
Il y a six ans aujourd’hui, ma mère m’appelait pour me dire que notre médecin l’envoyait une énième fois à l’hôpital pour ses douleurs. J’ai à peine relevé, pensait qu’elle reviendrait chez elle le soir même. Elle n’est jamais revenue et ne reviendra jamais…
Je suis émue j’ai tous lu et je souhaite du courage plein de courage bisous <3
Merci !
J’espère que ce billet t’aideras ou plutôt te soulageras . <3
Oui il m’a aidé à passer un meilleure journée…comme quoi l’écriture est thérapeutique !
Ton billet me tord les tripes. On ne se connaît pas mais j’ai juste envie de pleurer et de te prendre dans mes bras pour essayer de te donner un peu de courage, même si je suis sûre que tu n’en manques pas.
Plein de pensées et de bisous.
J’espère que tu ne m’en voudras pas de cette “familiarité”
Pas du tout, on commence à se connaître via les jeudis éducation <3
Ce superbe texte, écrit avec tes tripes, ton cœur et tes larmes est très émouvant. Je te serrerais bien dans mes bras si je le pouvais. A défaut, je pense fort à toi et t’envoie tout mon soutien 😉
Merci <3
Je suis de tout coeur avec toi.
Tant d’années qu’elle n’est plus présente pour toi ou tes enfants, à espérer un sursaut de sa part. Impossible de savoir si un jour il se produira, mais j’espère que cette lettre t’aidera à moins en souffrir, à ce que les questions de tes enfants ne soient pas le couteau qu’on remue une nouvelle fois dans la plaie.
Merci pour ton soutien, qui a été très précieux pour moi au moment où tout ça s’est produit, je t’en remercie encore du fond du coeur <3 WOnderKid grandit et ses questions sont différentes de celles de son frère, lui qui n'a jamais connu d'"intimité" avec elle...elles me blessent tout autant... arriverais-je à ne plus en être blessé quand ce sera au tour de WonderGirl de poser ses questions ?
Je te l’ai déjà dit, mais ton histoire me retourne. Tu souffres 3 fois: 1 première fois pour la situation de ta mère, 1 deuxième fois parce qu’il faut faire le deuil de tout ce que vous ne vivrez pas et une 3e fois parce que tu culpabilises…c’est trop à supporter.
Merci <3
Merci pour cette franchise, transparence et courage… pas facile du tout… je connais une situation délicate aussi… ça ronge, ça impacte, ça implique différemment, c’est toujours dans un coin de la tete…. Courage à vous 5 (ou 6)…
Oui je me souviens que tu en avais déjà parlé, courage à toi également… <3
Tu m’as déchiré des larmes… Ma mère a été aussi là pour nous soutenir lors du décès de notre père… Et elle, elle est partie 3 semaines avant la naissance de mon fils, son premier petits fils…elle est partie avec la plus grande des douleurs pour elle: ne pas le connaître… alors tu m’as déchiré des larmes… aussi parce que ma mère n’a pas eu des rapports évidents avec sa propre mère… et parce que les rapports mère/filles ça peut être effectivement très compliqués… même quand l’amour est là… ce que tu décris est tellement… complexe et tellement lourd à porter…et ton petit qui pleure son absence… c’est horrible…… Quand je regarde Louis, à chaque anniversaire maintenant je me dit “ayé il a 3 ans, ça fait 3 ans que ma mère n’est plus là…” mais lui ne la pleura pas car quand il sera en âge de comprendre, il saura pourquoi il ne la voit plus… ma situation est tellement plus simple…… bref, je t’envoie un coeur gros comme ça parce que je ne sais quoi dire pour réconforter ce mal qui est un mal terrible…..
C’est un peu la situation de mon mari. Sa mère est morte 4 mois avant notre mariage, 17 mois avant la naissance de WonderBoy. Quand une personne est là sans être là…quand ton deuxième se demande pourquoi sa mamie est debout à ton mariage, qu’elle donne un bib à son grand frère sur la photo (et pas à lui)… dur dur…
très très émouvant…
vassilia
Merci…
Ton écriture est si belle et tes mots si touchants…
Je ne sais que te dire à part Courage.
C’est déjà beaucoup, merci <3
♡
? 😉
Très émouvant <3
Merci <3
Bonjour…
Je ne comprend pas tout. Je ne sais pas vraiment ce qu’à ta maman mais je suis profondément attristée pour tes enfants et toi.
Courage dans cette épreuve… Malheureusement plus on attends et plus il est dur de revenir près de ceux qu’on aime
La peur, la fierté, la honte…
Ce n’est pas vraiment clair, ni pour nous, ni même je le crains pour les médecins qui la suivent O_o
C’est une très belle lettre, même si elle est souffrante…
J’espère que tu, que vous arriverez à être en paix avec tout ça, un jour.
Merci ma belle <3
Un message qui me parle… Malheureusement…Beaucoup de courage à toi…
<3 pour toi alors
Des bisous et des câlins… <3
Merci <3
[…] aussi ont émaillé ces dix premières années de ta vie. C’est toi seul qui a connu ta Mamie valide, toi aussi qui a le plus souffert de sa maladie, de ses rejets. Toi qui a essuyé les […]
[…] puis il y a ma mère. Notre histoire, depuis 2008, est tourmentée. Elle m’a déjà dit des horreurs, sans doute sous l’effet des psychotropes. Je lui en ai longtemps voulu, je faisais mon […]
Merci à toi de nous avoir partagé ça. C’est tellement fort et émouvant.
Je n’ai pas de mots.
<3 <3
<3