Source : Pixabay

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Maman,

Je ne sais pas où commencer. Je couche ces mots sur écran au lieu de la faire sur papier. Ça fait des mois que je repousse l’écriture. Je cherche quoi en fait ? La guérison ? L’absence de souffrance ? Non en fait je veux vider son sac. Pour ne plus t’en vouloir, ne plus souffrir de ton absence.

Maman, depuis tout juste six ans, depuis ce coup de fil où tu m’annonçais un départ que je pensais transitoire, je souffre. Parfois tu vois mes larmes couler, tu me regardes, tu ne dis rien. Je ne sais pas ce que tu penses et ressens. J’aurais tant voulu que tu réagisses. Ces premières larmes qui semblent te laisser de marbre ne m’ont pas soulagées. J’ai parfois l’impression qu’elles n’ont fait que raviver ma colère. Colère contre toi, contre le destin.

Maman je souffre de te voir comme ça, de te voir là-bas. Je souffre d’entendre aussi ce qu’on te dit, même si c’est ce que tout le monde pense et j’avoue moi aussi. Que tu n’as pas ta place, que tu prends la place des autres. Car entre ce que les médecins nous ont dit il y a six ans, entre ce qu’un expert a déclaré à un juge il y a presque cinq ans et ce que l’on voit, on ne sait pas, on ne sait plus. Ce que tu es, ce que tu vis, ce que tu ressens.

Moi je sais que je ressens un océan de tristesse quand je vais te voir. Je me sens poussée vers toi comme vers un aimant car je ne peux oublier tout ce que nous avons vécu ensemble, tes heures à me veiller quand j’étais malade, les moments de lecture partagé, les heures de jeux, la maladie et la mort de Papa, nos années de galère mais aussi les bons moments mère/fille à faire les boutiques, à aller au ciné…

Il y a aussi ce devoir filial, mes devoirs de tutrice aussi, la compassion envers la personne souffrante que tu es et reniée de sa famille. C’est tellement plus simple de m’envoyer un mail pour prendre de tes nouvelles et ne plus venir te voir. C’est tellement plus simple de me dire “tu lui achèteras un cadeau de notre part pour son anniversaire” et ne pas aller te voir. Ta souffrance dérange, énerve.

Certaines fois encore, je ne suis que colère quand je repense à tout cela. Je me souviens de la culpabilité que j’ai ressenti quand tu me disais que ma première grossesse t’avait rendu malade physiquement, que ma première césarienne t’avait fait craindre ma mort , quand ma fausse couche t’avais fait “mal au coeur”. Je n’ai pas cherché tout cela. Je n’ai pas cherché à avoir ces premières grossesses compliquées.

Je suis en colère à propos des horreurs que tu m’as dit quand j’attendais WonderKid alors que je stressais déjà comme une malade. Tu m’en as voulu de connaître la joie de multiples grossesses, toi qui n’en a connu qu’une seule. Et pourtant certains femmes se damneraient pour en connaitre, même une seule, si c’était pour connaître enfin la joie d’être mère.

Je t’en veux car mes enfants n’ont qu’une seule grand-mère et ne comprennent pas pourquoi ils n’ont pas ce que les autres ont. WonderBoy a compris maintenant. Mais quand tu l’as rejeté du jour au lendemain peu avant ses trois ans, quand il pleurait tous les soirs il y a six ans de ne plus te voir, je t’en ai voulu terriblement.

J’essaie de me raisonner, de me dire que c’est mieux d’avoir une grand-mère malade que pas de grands-parents du tout. Moi j’ai eu trois grands-parents malades, je sais ce que c’est. Mais l’un des trois, ton père, m’a donné tellement d’amour malgré sa maladie ! Ma grand-mère, ta belle-mère qui m’a demandé pardon sur son lit de mort, de ne pas avoir su profiter de moi…l’as-tu oublié ? Veux-tu en arriver là, à réaliser quand tout sera perdu ?   Mon autre grand-père, qui, lui aussi, m’a demandé pardon de m’avoir négligé parce que je n’étais pas le garçon qu’il espérait et était passé à côté de ma petite enfance, l’as-tu oublié ?

Il y a des moments où depuis un an où tu les regardes, enfin. Mais pas systématiquement, ce qui m’attriste. Car le soir, ta petite-fille m’a demandé pourquoi tu ne lui avais pas parlé, pourquoi tu n’as pas regardé ses jeux. Que lui répondre à part la rengaine “Mamie est malade” ?

Réaliseras-tu un jour que tu passes à côté de ta vie, de la vie, d’eux, de moi ?

Je t’en veux des deux promesses que tu n’as pas tenues. 

Tu as promis à Papa de toujours veiller sur moi. Tu l’as fait jusqu’en juin 2005. Quand tu n’es plus venue du jour au lendemain à l’hôpital où je menais mon combat contre la prématurité, ça a été un crève-coeur. Malgré tout, j’ai pardonné, je t’ai cherché une maison, et WonderDad et moi t’avons fait venir près de nous. Nous t’avons trouvé la maison que tu n’avais jamais pu acheter avec Papa. J’ai cru naïvement qu’auprès de nous, tu serais heureuse.

La seconde promesse, celle qui m’a le plus blessé quand tu ne l’as pas tenu, c’est celle que tu m’as fait justement après la naissance de WonderBoy “je serais toujours là, pour toi et pour lui, je ne vous laisserai pas tomber comme moi, on m’a laissé tomber”.

Parfois j’ai envie de te hurler cette promesse que tu n’as pas tenue, comme si, en te la disant, tu te réveillerais, nous nous réveillerions de ce cauchemar. Mes larmes coulent et manquent inonder le clavier. Les mots me brûlent les lèvres, ces mots que je ne dis pas.

On dit que les mots couchés par écrit guérissent, même si la principale intéressée ne les lira jamais. Je ne saurai pas te les envoyer ou te les lire, j’aurais peur qu’il te conduise vers ses tréfonds où tu avais sombré il y a 6 ans.  Il faut que je imprime ces mots, que je les brûle ensuite…et que la fumée reparte vers Celui qui, seul, a le pouvoir de te guérir.

Maman on t’aime tellement tous les cinq, si tu réalisais…

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C’est ma participation au rdv #53billetsen2015 d’Agoaye.

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Merci ma belle, grâce à ce thème, tu m’as forcé à écrire ce qui me ronge tant.

Il y a six ans aujourd’hui, ma mère m’appelait pour me dire que notre médecin l’envoyait une énième fois à l’hôpital pour ses douleurs. J’ai à peine relevé, pensait qu’elle reviendrait chez elle le soir même. Elle n’est jamais revenue et ne reviendra jamais…

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